Aux sources d'un programme il y a une vision de l'être humain, ce que le candidat Macron a nommé des "éléments de conviction et d'inspiration". Prenons le temps de détailler ces éléments afin de nourrir le débat démocratique.
Dans cette seconde partie, nous reprenons les éléments de conviction nous interrogeons leurs limites.
Retour sur les inspirations
Poursuivons notre commentaire sur les éléments idéologiques qui fondent le programme du candidat Macron tels qu'il les a exposés le 17 mars lors d'une conférence de presse.
Ces éléments sont rassemblés en trois points :
le retour de la souveraineté populaire
la confiance dans le progrès
l'humanisme
Après en avoir examiné les aspects rassembleurs, portons un autre regard sur ces trois points, afin de faire remonter à la lumière les angles morts de cette vision, et le potentiel de sortie de route, de collision et d'accident, ce potentiel étant déjà en acte dans le quinquennat 2017-2020.
En inversant l'ordre des points, on déroule une vision qui est ancrée dans une tradition de pensée bien connue.
Préciser l'humanisme
Une définition trop générale de l'être humain ouvre la voie à de dangereuses dérives.
On sent bien que cette définition de l'humain est très spéculative et permet toutes sortes d'interprétations. Mais est-il possible de faire mieux en respectant la dignité humaine ?
Par exemple remettre en question l'universalisme, n'est pas la voie à une hiérarchie des individus et des groupes, à la division et à la guerre ? Remettre en question l'émancipation c'est affirmer qu'il existe des contraintes autres que légales aux choix humains ?
Dans tous les cas la définition de l'humanisme demande à être complétée et précisée.
Le matérialisme désincarné
L'humanisme contemporain comporte deux faces contradictoires que rien ne semble relier l'une à l'autre et forme deux castes humaines.
La première face du projet humaniste contemporain est le matérialisme. Le projet humain est soumis à des besoins matériels qui doivent être satisfaits à tout prix. C'est peut-être ce qui a mené à l'exploitation intensive des ressources naturelles.
Deuxièmement, pour décrire un humain universel, il faut lui retirer toute spécificité. Ni homme ni femme, l'humain issu de l'existentialisme est une idée, un projet.
C'est la face "désincarnée" de l'être humain qui nous est proposé. L'être humain devient un sujet neutre qui peut réclamer toutes sorte de droits. Le risque est de tomber dans une surenchère de projets individuels qui se combattent les uns et les autres.
La liberté absolue et les besoins matériels sont les paramètres fondamentaux des politiques qui nous sont proposées.
Cette vision de l'être humain est peut-être vraie, et dans ce cas il faut accepter les développements politiques qui en découlent et devraient aboutir à la concorde, à la prospérité, au bonheur.
Mais cette vision est peut-être gravement incomplète et les décisions qui ont été prises en son nom devraient être questionnées à la lumière d'une connaissance plus réaliste de l'être humain.
Le progrès en question
Nous vivons une époque de progrès matériel sans précédent dans l'Histoire. Sommes-nous pour autant plus unis, plus heureux, plus instruits ? On pourrait croire que les espoirs fous du positivisme avaient été douchés par les grandes guerres industrielles du XXe siècle. Pourtant cet espoir demeure et nous sommes comme fascinés par le progrès technique, c'est ce qu'on appelle l'arraisonnement utilitaire.
Reste l'espoir connexe du progrès social. Cette notion qui est omniprésente dans le discours politique contemporain est rarement remise en question. Pourtant, depuis le temps qu'on promeut le progrès social, et avec tous les moyens qu'on y engouffre, qu'obtient-on ? On mesure toujours plus d'inégalités reportés par de nombreux observateurs, et visible à l'oeuil nu à l'échelle d'une vie humaine.
Mettre ses espoirs dans le progrès parait une bonne démarche, mais encore faut-il discerner ce qu'est le progrès et quel est le but à atteindre. Le progrès est à l'image de l'Homme.
Le progrès en action
Conformément à l'anthropologie matérialiste et désincarnée, le progrès que nous propose le candidat Macron est dans la ligne de ce que nous connaissons depuis plusieurs mandats.
Dans sa face matérialiste le progrès consiste à subvenir aux besoins matériels de la population grâce la redistribution des richesses et à l'économie de marché. Une vieille rengaine.
La redistribution c'est ce qui n'a pas fonctionné dans les pays socialistes, même ceux qui sont le mieux pourvus en richesses pétrolières ou qui ont tenté d'imposer ce principe par la force.
Le candidat Macron pousse "en même temps" vers l'économie de marché, qui ne correspond pas vraiment à l'humanisme qu'il prône car l'économie de marché impose des contraintes et favorise certains individus plutôt que d'autres.
Dans cette démarche hésitante, il risque de s'empêtrer dans une stratégie de planification, qui est cohérente avec une vision matérialiste mais n'a pas eu beaucoup plus de succès que la redistribution.
Les planifications qui ont fonctionné dans l'histoire étaient le fruit d'un soutien populaire, de l'unanimité et d'un fort réservoir de talent et de discipline, ressources dont nous ne disposons plus aujourd'hui.
Le progrès jusqu'au chaos social
Dans sa face désincarnée, le progrès consiste à libérer les individus de structures qui apparaissent comme des contraintes, à commencer par la famille, la culture, la religion bien sûr, toute forme de contrainte morale objective pour finir. Mais la liberté est-elle seulement l'absence de contraintes ?
En conséquence, des revendications de toutes sortes sont apparues, et les comportements se sont relâchés. La violence, la sauvagerie, des maux qu'on croyait disparus de nos démocraties occidentales refont leur apparition. Les atteintes à la liberté d'expression sont multiples car si toutes revendication est légitime, alors on ne peut plus s'exprimer sans blesser quelqu'un.
Cette forme de progrès aboutit à la guerre de tous contre tous à des formes de communautarismes qui confinent à la partition.
Les limites des sciences humaines
Pour parvenir à cette désorganisation sociale, à cette archipélisation, il a fallu voter des lois, il a fallu que fléchisse la volonté des juges et des politiques, il a fallu que l'opinion publique se soumette.
A quoi nous sommes-nous soumis ? A la seule référence qui paraisse universelle aux occidentaux éduqués, à la connaissance scientifique. Nous avons abandonné des termes comme "sagesse", "bon sens" ou "traditions" d'autant plus facilement que les sciences humaines nous parlaient d'émancipation et de plaisirs, de rejet des contraintes. Pour les juges eux-mêmes, l'émotion a supplanté la raison.
Pourtant, l'étude des comportements humains, dans ses dimensions psychologiques, économiques et sociales est-elle possible avec la méthode scientifique ?
Un domaine de recherche dans lequel la subjectivité du chercheur pèse sur le résultat de ses recherches peut-il être de plein droit appelée une science ?
La réponse à cette question est cruciale, car si vous acceptez d'introduire la subjectivité dans la science, alors l'universalité des résultats scientifiques doit être mise en cause, et on sort de la neutralité pour entrer dans le rapport de forces. Dans un rapport de foi.
Le programme du candidat Macron impose des changements sociétaux en se fondant sur les résultats des sciences humaines, un peu comme les programmes eugénistes ou l'élimination scientifique des handicapés au siècle dernier.
Le contrat sociétal
L'expression "souveraineté populaire", comme expliqué plus haut, rappelle la tradition du contrat social. Cependant il est ici sorti de son contexte. Le contrat social repose initialement sur le sens de l'honneur, c'est un engagement intime entre l'individu et la nation qui va au-delà du juridique et implique notre être.
Le sens de l'honneur est une ressource spécifiquement humaine et respecte un ordre qui va au delà de l'universalisme et de l'émancipation. Et le contrat social a vocation à organiser l'espace publique sans remettre en cause cet ordre intime.
La souveraineté populaire à laquelle il est fait mention est une chose différente du contrat social. Il s'agit ici de permettre aux décisions collectives de s'étendre à des domaines dits "sociétaux", qui touchent à l'identité de l'être humain et de la nation.
Ce contrat sociétal a quelque chose de perturbant et rencontre beaucoup de résistances. Pourquoi ? Que faire face à ces résistances ?
Conclusion
Les inspirations philosophiques proposées par le candidat Macron ne disent pas tout de lui et il faudrait sans doute nuancer chaque point. Par sa personnalité, il incarne également un modèle de dynamisme, de volonté, de force. Je le crois sincère dans sa démarche et je pense qu'il s'interroge à chaque instant, se remet en cause et cherche la meilleure solution, la meilleure manière d'exprimer ses convictions.
Mais malgré ce talent et cette ardeur, malgré les moyens mis en oeuvre pour soutenir sa vision, il manque quelque chose au candidat Macron. Beaucoup d'électeur le sentent et ne lui apportent son soutien que pour faire barrage à des candidats qu'ils réprouvent.
Cependant, en choisissant un candidat par défaut les électeurs faussent le jeu démocratique et cautionnent des politiques dont ils méconnaissent les dangers, et écartent des politiques porteuses d'espoir.
Ce qu'il manque au programme social-démocrate c'est sans doute une vision de l'être humain qui tienne compte des avancées récentes dans les sciences et dans la réflexion politique.
Ces connaissances nouvelles viennent régénérer les termes de "sagesse" de "bon sens" et de "tradition" et ouvrir des horizons à une science qui s'est enfermée dans l'idéologie.
Avec cette vision il devient possible de proposer programme qui est en adéquations avec le respect de l'humain et propose des solutions adaptées au défis et aux drames qui agitent notre monde contemporain, défis et drames qui pour beaucoup ont été causé par les programmes sociaux-démocrates et leurs avatars.
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